Richard Desjardins / Mano Solo

Paris, Théâtre Dejazet / Le Tourtour, mars 1999

 

 

            Leurs cœurs sont des oiseaux. Parfois ils les laissent s'envoler pour que les gens les voient.

 

            L'un a un cœur au plumage clair et luisant. Un cœur généreux et poète, de la poésie qu'on apprend dans les grands espaces. L'autre a un cœur triste, sombre et ébouriffé, à la paupière basse. Un cœur maladroit même pour dire qu'il ne va pas bien et qui donne des coups de bec quand il voudrait distribuer des baisers.

            L'un prépare soigneusement son cœur avant de le laisser s'envoler pour que les gens le voient. Il lui apprend les plus belles figures à tracer dans son vol pour rendre les gens heureux mais aussi attentifs, car il a beaucoup à leur dire avec son cœur-oiseau. Quand il est prêt il va voir des gens et libère son cœur pour qu'ils le voient voler. Et les gens écoutent et sont heureux, car son cœur est beau, et ce qu'il leur dit, les dessins qu'il trace dans son vol sont beaux aussi. Les gens rient, et applaudissent, et il reste un peu pour regarder son cœur avec eux et recueillir les applaudissements.

            Puis l'autre le remplace. Lui aussi voudrait que les gens soient heureux en voyant son cœur, lui aussi voudrait qu'on l'écoute, il a tant à dire, et surtout il a besoin qu'on l'aime. Mais il ne sait pas comment préparer son cœur trop farouche, comment lui apprendre les belles arabesques qui font la communication. Il va voir les gens et le lâche quand même. Parfois son cœur ne s'envole même pas et reste sur son épaule, mais de toute façon les gens rient, et applaudissent, mécaniquement, même s'ils n'entendent rien. Et lui, planté là un moment, n'entend pas les applaudissements qu'il aimerait recueillir. Il n'entend que son cœur qui crie et claque du bec, maladroit et seul au fond de lui.