La Flûte Enchantée

Prague, mars 1997

 

 

            Lorsque Pamina voulut rendre le poignard à la Reine de la Nuit, celle-ci la stoppa d’un geste définitif du bras puis étouffa l’enfant dans les filets d’une implacable aria, d’un appel au meurtre sans appel. Sans la toucher, par le seul pouvoir du son matérialisé en sa personne, elle la fit se plier, pleurer, se prostrer enfin. Cruelle et victorieuse, elle la griffa d’un ultime coup de fouet, aigu, précis et raffiné, avant de disparaître par la trappe d’où elle avait surgi, dans un tonnerre d’orchestre et de fumée. Des balcons les ors s’assombrirent encore un peu, comme pour condamner les applaudissements à cette créature que la scène menaçait déjà de recracher. Lui aussi, dans sa loge, applaudissait. Mais pourquoi, en pleine aria, son plaisir d’auditeur (devenu trop grand ?) s’était-il mué en ce sentiment d’être soudain trop concerné, montré du doigt lui aussi par le démon qui, sur la scène, exténuait l’enfant ? Pourquoi lui, et comment l’avait-elle trouvé, caché au troisième balcon, pour quoi lui dire ? Il le sut d’emblée, le savait trop bien.

            Après la représentation, apaisé, il alla marcher. Une neige épaisse, indécise, tombait sur la ville figée de froid. Sous les arcades, sur la place désertée et dans le vide souligné par quelques lampadaires et la lumière qui rebondissait doucement des plus hautes tours, pas de passants, seules des ombres effleurant le pavé, fuyant, inexistantes. Doucement, elle émergea de la fumée de sa cigarette, elle fut à ses côtés et déroula à ses oreilles, en tournant autour de lui, en le frôlant dans sa marche, des méandres de vocalises silencieuses : il voyait le masque du maquillage, déformé par l’effort pour émettre les notes les plus aiguès, prendre l’apparence d’un crâne, comme il l’avait déjà noté à l’Opéra. S’il avait eu peur alors, elle aurait sans doute osé l’envelopper dans sa cape de nuit, et tout aurait fini là. Mais son désespoir était calme, il la toléra un moment avec lui, dans la rue, puis alla retrouver d’autres lieux, d’autres alcools et musiciens, abandonnant la cape et le crâne à la première porte franchie. Seul, il ne pensa plus à rien, ne pensa plus qu’à elle, et alla se coucher plein d’une tristesse froide.