TROISIÈME PARTIE
(Histoire de la maison aux puzzles)
Et depuis me voilà
Albert, il s'est barré
Ça fait cinquante fois
Qu'il cherche à s'évader
Pourtant il le sait bien :
C'est dur d'aller dehors
À cause des maîtres-chiens
Et puis des miradors
Quelquefois c'est à croire
Qu'il a des coups de fièvre
Ou bien que quelque part
Son chien l'a rendu chèvre
Tu parles d’un bordel !
Il m’a piqué l'échelle
Je trouve le temps long
Accroché au plafond
Accroché au pinceau
Impossible à remuer
Impossible à lâcher
À poser dans son pot
Accroché au pinceau
Impossible à remuer
Impossible à lâcher
À poser dans son pot
Je crois que j’ai le cerveau qui fond. C’était tout ce qui me restait, un bout de cerveau pour m’aider à me débattre, ça et un grand échalas livide à venir chercher ici, dans un coin de cette place, de plus en plus convaincu que j’étais d’arriver à en tirer ce qu’il me fallait : une montre, certaines réponses et même les questions que je n’arrivais pas à produire. Mais là, en découvrant son socle vide, au débouché de la Rue Sévère, je sens tout simplement mes derniers assemblages de neurones encore opérationnels tomber en mélasse derrière mes yeux. De la mélasse qui se met rapidement à bouillir. Ah, le visqueux ! Le fieffé, visqueux blafard ! Il a filé, il m’a laissé là comme deux ronds de flan ! Il s’en est pourtant pas privé, la tête d’os, de me harceler, de m’empoisonner, de me blanchir jusqu’au peu de nuits auxquelles j’arrivais à croire. Il les a quadrillées, l’animal, mes terres de l’imagination, jusqu’à m’acculer, jusqu’à ce que je n’aie plus qu’à remonter le sale ruisseau de venin pâle qui me colle aux semelles depuis le début et pour trouver quoi ? Un socle vide, l’évidence de son mouvement, de son irruption de ce côté-ci de mes rêves ! Pour trouver une absence synonyme d’ennemi, un que je n’attendais pas, et pas là.
Je repense aux rues figées que je viens de parcourir à nouveau, d’un trait, sans m’arrêter, sans émotion, tant il me semblait tout connaître par cœur, tendu vers mon objectif. Je réalise qu’il était sûrement là, à rôder, à me suivre, à m’épier, invisible dans ce désert, mais bel et bien là, derrière chaque statue de chair, derrière les passants qui consultent leur montre et ceux qui manœuvrent un chien plus ou moins gros au moyen d’une laisse plus ou moins longue, entre les voitures qui servent désormais d’écrins aux effigies de leurs chauffeurs et passagers, dans chacune de ces miettes gelées, tout le long de mon chemin, et jusqu’ici, pardi !
Mes yeux ont su d’emblée où aller, délaissant le socle vide ils ont filé vers le signal blanc qui vient de geler tout net le processus de fusion dans mon crâne : c’est lui, cette tache trop claire installée à la terrasse du petit restaurant, et qui me fait signe de la main. J’y vais tout droit. Sur la table il y a une carafe de vin rouge, deux verres et deux assiettes, deux volumineuses salades composées avec des fromages de chèvre, une pour lui et l’autre qui m’attend devant une chaise vide. Je m’installe et je commence à manger aussitôt, sans le regarder. Le fromage est tiède juste comme il faut. Sans le voir, je sais que l’autre a deux petits yeux féroces dans sa face de lune tandis qu’il prend la parole en remplissant nos verres de vin.
« T’as vu, je t’ai préparé ça pile poil. C’est facile, faut dire : je savais précisément à quelle heure t’arriverais. Ha, ha ! »
Son rire enfle et envahit l’espace, ma tête et mes muscles durant deux ou trois de mes bouchées, au moins. Je ne pense qu’à surtout ne pas lever les yeux de mon assiette. Ce n’est qu’une fois qu’il s’est calmé, que le silence est redevenu bien complet, que je me redresse et le fixe, sans un mot, car ce n’est pas encore à moi de parler. Lui me regarde tranquillement, hivernal et pourtant souriant, sur la lancée de sa grosse joie. Il avale vivement une bonne fourchetée de victuailles puis saisit voluptueusement son verre où il puise une longue gorgée, la tête levée vers le ciel. J’examine comme la peau autour de sa gorge accompagne le passage du liquide, et quand il a fini il me fixe à son tour. Ses traits blanchis sont maintenant ceux d’un carnassier en colère, qui me parle comme à une proie qu’il épargnera pour son peu de valeur.
« Ils n’ont pas voulu comprendre. Ils m’ont assez vu pourtant, je les ai assez harangués depuis mon bout de trottoir. Mais rien. Pour regarder comme des veaux, et pas trop longtemps encore, et prendre des photos, ça oui, ils savent y faire, mais pour ce qui est de comprendre, vraiment comprendre… »
Il se penche vers moi, les traits toujours durs mais comme à la recherche de quelque chose dans mes yeux ou autour de mes lèvres, puis il s’adosse à nouveau, avec dépit, en lâchant :
« De toute façon, te parler de comprendre, à toi aussi… »
Je ne relève pas, continue à le regarder. Pas encore, pas encore.
« Total, reprend-il avec violence, j’ai fini par me lasser. Oui, même moi ! Tant pis pour eux, voilà le travail », conclut-il en me désignant la terrasse autour de nous d’un large mouvement de sa grande manche laiteuse. Je les observe, ces mangeurs suspendus, ceux qui examinent leur menu avec un sérieux qui a tourné au ridicule, ceux qui introduisent un sucre dans leur café avec l’air de tâter prudemment la température du liquide, je les observe et je sens mon indifférence croître jusqu’au vertige. Ils ne m’inspirent plus ni rire ni gêne, je ne les trouve plus ni sereins ni angoissés dans leur prison, je les trouve juste vides. Avec effroi, j’intègre enfin et très précisément l’idée qu’on aura beau faire tout ce qu’on veut, le délavé et moi, hurler, se battre jusqu’au sang, foutre le feu aux tables et même à la ville entière, il ne se passera rien, ils ne bougeront pas ; comme des objets qu’ils sont devenus. L’autre les regarde toujours de haut, cruel et satisfait, et c’est à moi, je sais que c’est à moi :
« Et on en est où maintenant ? je demande. Tu crois qu’ils finiront par mieux comprendre juste à force de rester comme ça ? Mais regarde-les un peu, éteints comme des gros cailloux au fond d’une rivière !
- Eux ? Mais eux ils ne sont plus là, voyons. Ils sont restés derrière, avec les certitudes qu’ils se sont choisies, et je peux t’assurer qu’ils vont bien, ne t’en fais donc pas. »
Il fait une légère pause avant de reprendre, moqueur, sans me laisser le temps d’avaler ce qu’il vient de dire.
« T’es vraiment perdu, va. C’était peut-être pas si mal, pour toi, le fond du ruisseau, avec les autres cailloux, comme tu dis. Mais t’as voulu faire le malin, voilà ! T’es le caillou qui veut flotter, voilà ce que t’es, ha, ha ! Seulement le courant va trop vite pour toi, bien trop vite, au point que tu ne sais même pas dans quel sens il coule ! Alors tu pleurniches, tu veux qu’on t’explique, mais on ne sait plus faire. Du moins plus avec des paroles ou des dessins ou tes trucs à toi. Alors va falloir être patient, fils, il va falloir attendre et rester, rester jusqu’à comprendre, comprendre vraiment. »
Je vois, j’entends, mais je n’assimile plus. Je le sens seulement de plus en plus mordant et féroce et dur, et plus il se durcit plus je le vois blanc, infiniment et aveuglément blanc, blanc son masque sans pitié, blancs ses mots qui me broient, blanche ma voix hors de tout contrôle que j’entends prononcer très lentement :
« Dis-moi … juste … Robert … comment arrêter tout ce … cirque.
- Ah ! fait-il, surpris, on dirait que ça commence. Tout doucement, mais ça commence. Bon, ça va comme ça. Je te l’avais dit : partir pour retourner là d’où on vient… Et pourtant, souffle-t-il, soudain inquiétant, c’est ce qu’il va falloir faire maintenant. Dégage, tu m’entends ? DÉGAGE ! »
Je me sens partir comme une balle, avant même la fin de son dernier mot, renversant des tables, des clients et des assiettes compliquées, je fonce à nouveau entre les passants éteints, à travers la ville qui n’existe plus, et je ne sais pas, mais je crois sincèrement que je cours comme ça sans m’arrêter, sans savoir ce qui me guide, jusque chez Ruben, jusqu’à la plage et là j’entre dans l’eau, je continue à me précipiter vers le large en m’enfonçant dans la mer sans pouvoir m’arrêter quoique je sache que le salut se trouve dans ma poche d’où j’extrais une montre-bracelet, ma montre, entièrement blanche, au bracelet blanc, au verre blanc et opaque, et alors que les vagues battent déjà contre mon estomac je stoppe enfin, seul mon bras se détend encore et s’avance un peu plus pour projeter cette montre le plus loin possible, jusqu’à une éclaboussure qui me semble, allez savoir pourquoi, curieusement dérisoire.
Ce n’est qu’en revenant sur le sable que je réalise où je suis et comment tout a recommencé, et l’épuisement m’empoigne enfin et me jette contre la première dune venue, où j’ai tout juste la force de sentir arriver un nouveau rêve : assis dans le studio où Ruben est calé dans son petit cratère de curseurs, de VU-mètres, claviers et autres accessoires barbares qui sont ses amis, je me laisse emmener par la goutte métallique d’une cymbale qu’il façonne, étend, tord pour en faire un tapis volant immatériel, têtu, plat, aigu, qui à son tour finit par se dissoudre dans tout le reste, ruissellement de basses relevées puis relâchées par une main invisible, dans ce volume sonore traversé de bruits de fusées, habité par des avatars de trois ou quatre notes dont la vie ne dure pas plus de quelques mesures. Un monde de sons où règnent les voix et les guitares de Ruben ou Robert. C’est Robert, je crois, que j’entends chanter vers le plafond plein de toiles entremêlées, ou simplement plein de toiles ou même pla, indéfiniment, sans que la suite ne puisse arriver malgré le son, le reste, le monde, qui continue. Le regard libre et loin devant moi. Comme dans une boîte à partir de quatre heures du matin, quand il ne reste presque plus de whisky dans la bouteille, ni de cigarettes, que de toute façon on n’en a plus envie, et qu’on n’a plus personne à draguer ; quand on commence tout juste à se demander ce qu’on fait confortablement assis là, au milieu de tant de corps et de décibels étrangers, avant de se laisser partir dans une densité moelleuse de sensations pures. Parti donc, déconnecté, je suis, dans le studio. Laissé, oublié, lâché, détaché, emmené, dilaté, dérivant, transe.
Tout naturellement, voilà que Robert entre dans le studio et m’agite sa main devant les yeux pour m’adresser la parole. Je le vois sans surprise s’asseoir à côté de moi avec son sourire équivoque. On est dans le studio, Ruben continue à mixer, pourtant c’est exactement comme si on était ailleurs, loin, au milieu d’un désert ou d’un carnaval papou. N’importe où, mais ailleurs. Robert cherche du regard le pot le plus proche avant d’y catapulter un crachat plutôt bref, et maintenant je sais qu’il va me raconter une histoire de son cru.
« Ecoute bien ce que Robert va te raconter, fils », commence-t-il.
Robert commence toujours ses histoires par cette formule, parce que Robert aime qu’on l’écoute. Même Robert écoute Robert quand Robert raconte une histoire. Et le voilà qui ajoute, comme si c’étaient les paroles d’une chanson qu’on a casées là parce que la musique les réclame, même si ça ne colle pas trop :
« Tu connais mon histoire ? »
Et sans attendre la réponse le voilà qui considère et peut-être me montre quelque chose, devant nous, qui ne se trouve pas dans le studio, ni dans le désert, ni dans le carnaval. Je ne vois rien de spécial. Je ne vois même plus Ruben qui continue à mixer, dépassant à peine de son terrier de commandes. J’entends sa musique, ailleurs, et la voix de Robert, ici :
« C’est une maison. Tout le monde sait qu’elle existe, mais pas grand monde pourrait t’indiquer où elle est, et dans ce pas grand monde il y en a encore moins qui accepteraient de t’en parler. Moi pourtant je sais, fils, ce qui se murmure. Une grande maison, d’accord ? Plusieurs étages. Des pièces et des pièces et des pièces, des espèces de petits salons, tous à peu près pareils, avec des fauteuils, une cheminée, une table. Les salons communiquent par tout un tas d’escaliers et de couloirs. Dans une des pièces, un gosse passe ses journées à tailler en morceaux, avec des grands ciseaux verts et jaunes, des images, des photos parfois, de trucs complètement fous. Des troupeaux de tortues sur la lune, des pieuvres à cinq yeux, celles qui nagent au fond des volcans. C’est ce qu’on m’a dit. J’y crois. Tous les matins, un groupe de cinq ou six hommes rentre dans la chambre du gosse. Ils entassent ses découpages dans de grands paniers et vont les distribuer dans toute la maison. Parce que dans chaque pièce, dans chaque pièce, tu m’entends, il y a quelqu’un, homme ou femme, qui est là depuis quelques heures ou plusieurs décennies, et qui attend, chaque matin, en dormant un peu. Ils attendent tous celui qui vient tous les matins leur laisser une bonne brassée de découpages. Tous les matins les habitants de la maison se réveillent comme ça, avalent un morceau en vitesse, qu’on leur laisse avec les bouts de papier, et se mettent tout de suite à essayer de reconstituer une image avec l’arrivage de la journée. Minutieusement. En lissant longuement, pour qu’ils soient bien plats, qu’ils s’insèrent bien, qu’ils ne gâtent pas l’ensemble, les bouts un peu cornés, un peu froissés. Quand ils trouvent à les caser. Ils y passent toute la journée et une bonne partie de la nuit, en mangeant un peu pendant la matinée, puis moins, puis plus du tout. Ils ne font que ça, ne veulent faire que ça. Ils font ça comme si leur vie en dépendait. Ça arrive qu’il y en ait qui arrêtent, mais alors pour le coup ils s’arrêtent pour de bon. Ils laissent tout en plan et sortent de leur pièce, retrouvent leur chemin dans les couloirs et les étages, sortent de la maison en passant devant les distributeurs assis sur le perron, et n’y remettent plus jamais les pieds. Le lendemain matin quelqu’un a pris leur place.
Bref, tous les jours de nouveaux papiers. En général on va jusqu’au bout de la nuit, les yeux fatigués par la bougie. Quand on a de la chance, on peut se retrouver avec un chapeau ou une horloge, par exemple, presque complets. D’autres fois, on n’a qu’un bout d’une espèce de patte d’animal, et on a beau chercher, pas moyen de se figurer à quel genre de corps ça pourrait s’accrocher. »
À ce moment-là du récit à peu près, je reprends un peu conscience de la musique modelée par Ruben. Le vers Des souris, des homards et des tamanoirs blonds s’est déjà pas mal répété, en s’emmêlant dans un petit motif boiteux. Tout ça change peu à peu de timbre de manière à ce qu’on s’attende à un dénouement ou au moins à un paroxysme quelconque, bref, un de ces trucs qui justement n’arrivent jamais. La dernière fois que je suis allé faire le marché avec Nina elle a monté un petit défilé de mode qui finissait par la lingerie fine, alors on a copulé avec enthousiasme au rayon matelas. Nina voulait de l’action et elle en avait. Ses seins venaient rebondir mollement sur ma poitrine au rythme de ses cris. J’ai un début d’érection, c’est étrange de penser à ça au milieu du récit de Robert et des sons de Ruben, qui font maintenant comme une musique de film.
« D’autre fois encore on n’a qu’un assemblage tout jaune, ou tout noir. Ou tout blanc, d’une seule couleur. Et comme on ne peut pas s’y fier, à cette couleur, on ne sait même pas si on a sous les yeux un morceau de ciel, de peau, d’une voile… En fait on ne sait même pas si on a remis les morceaux dans le même ordre, tu comprends ? Ça ne veut plus rien dire, l’ordre, là-bas. Et puis il y a des jours où on ne peut rien extraire du tas de papiers laissés en vrac le matin. Pas deux qui jointent.
Toujours on finit par s’endormir, peu avant l’aube, d’un mauvais sommeil contre lequel on a lutté tant qu’on a pu. Et puis les visiteurs du matin, la bouffe et la brassée de confettis. Et là – c’est vrai, je te l’ai pas dit tout à l’heure – là, ils ramassent tous les papiers que tu as réussi à assembler, sur la table ou par terre, même les petits groupes de deux ou trois, et toutes ces images incertaines, pas finies, ils les brûlent. Après ça t’es même plus sûr qu’elles ont existé. Il y en a qui pleurnichent quand on leur prend une image un peu plus belle ou un peu plus grande que les autres, mais jamais personne n’essaie de résister. Et ça repart pour la journée. »
J’entends Mais il reste un embêtement remplir le studio, brièvement, violemment. Je ne suis même pas sûr que les mots sont dans cet ordre-là, il est même probable que je reconstitue pour me raccrocher à un sens. Et tout de suite Des araignées plein mon plafond commence, en canon à une multitude de voix, celles de Ruben et Robert, plus ou moins filtrées, trafiquées. On n’entend plus que les plapleinplapla, comme s’il pleuvait de la gelée qui rebondit mollement par terre. Je me dis que Nina a de plus gros seins que quand je l’ai rencontrée.
« Ces esclaves volontaires s’acharnent pour rien sur les miettes inépuisables d’un monde où ils n’iront jamais, d’un rêve qu’ils ne feront plus. Il y a des gens qui le savent parce qu’ils ont réussi à sortir de la maison. Il y en a de plus en plus. Bientôt, toute la ville y sera passée. »
Robert crache encore un coup, et son histoire est finie. Je pourrais lui dire quelque chose maintenant, lui faire un commentaire qui pourrait démarrer une conversation. Je sais exactement, je peux lire précisément le long de mes synapses ce que je lui dirais et je sais ce qu’il pourrait me répondre et ce que j’ajouterais ensuite en fonction de la musique autour de nous, car je sais s’il y aura alors des là, va falloir pâteux ou de sifflants imposss…Alors je me tais, catastrophé de savoir que ce dialogue que je connais déjà de bout en bout aura lieu de toute façon une autre fois, que là où j’en suis rendu c’est inévitable. Que rien n’a d’importance ni ne sera évité. Je me lève et je sens comme cet ordonnancement m’enserre et me tient, je le sens aussi sûr que je sens mon pantalon trempé et lourd de sel me coller aux cuisses tandis que je quitte le studio. Ruben remplit chaque parcelle d’air d’un son qui change en vain et dispose d’assez de questions en souffrance pour être sûr de n’avoir jamais à comprendre vraiment ; Robert existe là sans qu’on veuille rien y faire ; dehors il y a Nina et je lui parle ou la caresse ou rien en pensant que je n’ai plus qu’à me remettre à lire ces romans policiers ou de science-fiction, ces trucs français des années soixante-dix, quatre-vingts, en écoutant du free jazz ; à lire et à écouter des types qui ont préféré rester de l’autre côté, à secouer les murs, ceux de leur prison, ceux de leur imagination, à lire et à écouter pour oublier qu’à un moment je n’ai plus voulu continuer comme eux, que je n’en avais plus le courage ou la force, et pour oublier que je peux peindre ce qu’il y a derrière ma fenêtre sans ouvrir les rideaux.