LUNE VENT PEUT-ETRE

 

 

 

 

Elle est un corps, son corps, et devant sa glace elle observe et maîtrise le lisse déroulé de ses formes pures, elle contemple et définit l’enveloppe de ses fesses, son prolongement dans le galbe de ses jambes, et se fait obéir dans la finesse des chevilles, dans l’arc des pieds, la hauteur, la forme, le volume de ses seins et toute sa chair qu’elle s’est sculptée le long de ses propres caresses en s’enseignant les langueurs embaumées perlant sur le nombril et à la pointe des mamelons, en se dressant elle-même à la cambrure électrique, au sexe odorant qui happe et par quoi elle respire, en se faisant enfin suffisamment grande et remarquable dans sa distance liquide pour prendre les hommes dans la découpe de ses yeux, les enrouler dans le sillage de ses hanches promises, les entraîner dans une spirale ocre et bleue et ocre enfin, et monter avec eux dans la nuit et la fumée en longeant des miroirs où elle reste pour qu’ils la regardent, elle qui les enfouit en haut de sa tour dans l’alcôve trop chargée de tissus et d’essences et possède leurs peaux, leurs mains, leurs souffles, leurs fluides sans souci de qui ils sont, leur âge, leur force, si leur peau est de la couleur qu’elle aime, puisqu’elle sait les guider, les piloter, les utiliser au mieux, puisqu’elle les connaît d’emblée, décide d’instinct s’ils lui pétriront durement les seins, si leur langue passera sous ses aisselles ou le long de ses jambes ou s’ils la perceront sans douceur en empoignant sa croupe impatiente, s’ils pleureront, mourront presque, selon qu’elle sera pour eux une fleur vénéneuse abandonnée dans une gare ou la dent précise d’un animal du désert, pourvu que toujours le plaisir prenne des chemins différents, surprenants, qu’elle guette, et qu’elle s’enfonce dans les parcours compliqués du plaisir, qu’ils la besognent ou qu’ils la boivent, que leurs giclées heurtent sa gorge, zèbrent ses seins et ses cheveux ou cinglent le fond de son ventre, qu’elle lutte ou se soumette, les étouffe de rondeurs et de liquides épais, tombe en jurant sur leur sexe en le déchirant presque ou les fasse jouir vingt fois sans qu’ils soient entrés, sans qu’ils entrent jamais, elle se repaîtra de l’éclosion désordonnée de mille voiles enfouies dans son cerveau, de la course de lémuriens aveugles et tièdes dans sa colonne, son axe disloqué, et une flaque électrique saisira ses nerfs des lèvres jusqu’aux pieds et au tremblé de griffes acides derrière ses yeux, au frôlement d’huile déterrée sur ses seins compacts gonflés de sueur et de voix de spectres griffus, jaunes, de labyrinthes de sueur, d’odeurs, de plaintes, d’agonies circulaires, humides, pleines de l’effondrement perpétuel des extases qui convoque le réveil où elle les retrouve avec étonnement, ceux qui ont grogné, ceux qui ont pleuré et ceux qui sont presque morts, les congédie dans un ovale de fumée, les pousse du pied pour qu’ils retombent en tournant le long des miroirs vides, ne reviennent jamais, oublient tout.