UNE NOUVELLE AVENTURE DE RMRT

 ET DE MOI

 

 

 

 

            Les mômes d’en face avalaient du jus toute la journée. Ça rendait tendus même leurs brailleux, même les murs de la cagna qu’ils n’en finissaient pas de finir. Hier, pour tout pourrir, il tombait comme du gaz chaud sur la plaine tordue de sueur. Même rabougris à l’ombre qu’on était, de les voir par la fenêtre vibrer avec leur alentour, ça nous mettait comme des flaques. Rmrt a fait : « Tant pis ! J’aime mieux aller rôtir derrière la dune, avec de l’enduit et des images. Je reviens pour la fraîche. » Quand il a détalé j’ai dormi dans mes gouttes.

 

            C’est d’entendre la bagarre qui m’a réveillé, quand la journée commençait à finir. Je suis sorti comme Rmrt entrait en face en faisant beaucoup de gestes. De sa main pendait un brailleux plutôt estourbi, et de son dos un môme qui essayait de le griffer. Les autres bougeaient autour d’eux en glapissant comme des vieilles serrures.

Je me suis mis dans un coin de la bicoque où il y avait Rmrt, les mômes et les brailleux, sûrement. Ils bougeaint richement et à force ça les faisait circuler entre les pièces, comme des particules enfermées dans un nuage. Ça donnait chaud encore plus. Par les hurlements de Rmrt qui dépassaient du désordre je me suis imaginé que ça avait commencé à son retour de la dune, pour un brailleux qui l’avait exaspéré et un môme, ou plusieurs, qui s’en frottaient. Alors Rmrt avait détérioré la bestiole sans détachement et en suscitant des sons et des gestes serrés chez les autres, et tout ça s’était dérivé jusque dans la bicoque où on assiste maintenant. J’étais trop absent pour avoir plus de détails, et Rmrt ne me dira jamais rien, mais c’est comme ça que les grands traits se sont passés. Rien ne s’est jamais passé vraiment autrement. Rmrt a maintenant ramassé dans les yeux cet alliage de rogne et d’étonnement qu’il a quand il revient aux choses. C’est pour ça qu’il ne me le démontera jamais, son impact que j’imagine derrière la dune avec les mioches et l’animaux, à ce moment-là il était complètement en-allé et il ne s’en souvient plus trop, plus du tout presque, autant que moi qui ai arrêté de dormir seulement pour le voir revenir à tout, là, dans le milieu incomplet des mômes et des brailleux. Eux n’ont rien souffert du Rmrt revenu ; à part les yeux il est pareil c’est vrai. Mais voilà qu’en continuant à dériver de pièce en place en émettant haut il semble enfler, et dans tous les sens. Il ôte des parois des images de sites et de girafes. Il distille tant que les autres mouvements s’éteignent autour de lui. Quand il prend assez de place il y a des bruits, des lambeaux du bâti qui ne finira pas et à la distance, derrière plusieurs collines, des courses ou des cris qui rappellent, plus pour longtemps, des enfants ou des créatures au poil acide. Rmrt alors peut se retrouver, juste Rmrt, dans le semis de planches déjà presque revenu à la plaine ; Rmrt repart maintenant avec des pas trop grands qui font promener les épaves de la bicoque oubliée. Il a des airs et des mouvements saturés, comme s’il était trop petit pour ce qu’il vient d’élaborer, comme s’il était malhabile. Maintenant je le connais : il errera dans la bicoque la nôtre comme un vainqueur qui défile dans un étang, avec des ronds de bras qui auront l’air de boucher le toit et de tenir les murs. Je n’existerai pas pour lui et peut-être pas non plus pour moi jusqu’à ce qu’il amène dehors assez d’éléments pour absorber et pour avaler. Il fera nuit alors, je m’installerai et Rmrt, perché entre des flammes et le restant de mes rêves sur le vocabulaire des lunes et des triomphes, réveillera pour moi la remuante plaine des beffrois de terre et des gardiens d’iguanes à sillons, des routes trop droites, fausses pistes entre les villes qui s’effaçaient. Nos yeux ou nos poitrines luiront doucement, Rmrt parlera et nous boirons le suc des ombres et des pensées en démasquant l’ordre de la plaine des mémoires, celle qu’on nous a dite, celle qu’il nous faut croire ; celle d’avant nous, d’avant celui qui déchira la toile qui contenait le sable et le souffle des soleils secs.

Ne pas dormir, il faudra, tant que ce sera la nuit. Je verrai Rmrt, je sais, de toutes mes forces, voler contre un ciel étranger en émiettant plus fort que lui les idées que je veux, et je dormirai pourtant, avec les saisons et les arbres peints couleur d’écorce, de sable, de regrets.

Le matin la touffeur me secouera. Seul, il faudra me remettre à croire au désert jaune autour. Seul attendre l’engin qui viendra répandre de nouveaux êtres remuants, antipathiques, muets, et ne pas espérer d’eux qu’ils surviennent pour autre chose que vouloir assembler un abri aussi raté que le mien. Quand je les aurai vus, quand je serai bien sûr, et s’il fait un peu moins chaud, je rentrerai faire du jus et d’autres choses blafardes en guettant le dehors qui m’agacera peu à peu ; en invoquant Rmrt, en le suppliant d’être encore là le moment venu, la prochaine fois que l’air grondera, le prochain jour de soufre et de colère, pour que cette fois encore ce ne soit pas mon tour.